Réouverture des écoles : les enjeux

mardi 28 avril 2020
par  Sud éduc 34

Analyse de SUD éducation 34

La décision de rouvrir les écoles à partir du 11 mai questionne énormément la communauté éducative, d’autant plus qu’elle va à l’encontre des recommandations scientifiques. Mais la question de l’école s’insère dans le champ plus vaste de l’état de notre société et du système qui la guide.

Des dirigeants au service du capitalisme

Nous avons entendu des déclarations contradictoires, des mots vides de sens dans la bouche de ces hommes et femmes qui dirigent, car le système qu’ils servent ne les reconnaît pas : « solidarité, équité, redistribution, justice… »
En effet, le capitalisme qui est le système économique en place depuis quelques siècles s’appuie depuis quarante ans sur une idéologie très dure pour les salariés : le néo-libéralisme. Il s’incarne dans des décisions politiques qui vont toujours à l’encontre des intérêts des plus pauvres, des plus faibles, et plus généralement à l’encontre de l’intérêt collectif du plus grand nombre.

Voici quelques éléments constitutifs du système capitaliste et du néo-libéralisme :

Le dogme de la concurrence libre et non faussée
Penser que tout peut se vendre et s’acheter, être guidé uniquement par le profit et la rentabilité, mettre tous les secteurs d’activité en concurrence et vouloir appliquer cette doctrine aux services publics. Alors même que les services publics, par définition, ne peuvent être rentables puisqu’ils ont été créés, dans leur forme actuelle, à la Libération pour garantir à chaque être humain des conditions de vie dignes, sans nullement tenir compte du critère de productivité des bénéficiaires, cher à la doctrine capitaliste.

Le monopole idéologique
Réprimer toute idée d’un système économique différent : décrédibiliser, invisibiliser et éteindre les alternatives économiques ; en un mot faire du slogan de Margaret Thatcher (TINA – There Is No Alternative) une évidence de la pensée.

Le contrôle des médias
Soumettre le réseau médiatique en l’achetant : une poignée de grands groupes possède l’immense majorité des chaînes télé et journaux. Les éditorialistes, chroniqueurs, polémistes qui animent les plateaux télé et la presse écrite véhiculent systématiquement la pensée néo-libérale et n’envisagent même plus d’autre cadre de pensée économique… Pourtant au moment de la Libération, le Conseil National de la Résistance avait pourtant bien saisi l’importance de l’indépendance de la presse pour la démocratie, son programme adopté dans la clandestinité prévoyait que celle-ci soit « libérée des puissances d’argent ».

La verticalité du pouvoir au service d’une politique de classe
Ce gouvernement le montre particulièrement : une poignée d’hommes et de femmes veulent décider seuls, sans les corps intermédiaires (représentants des personnels, organisations syndicales, instances paritaires, collectivités territoriales…), alors que les orientations fondamentales qui font de nous une société (une communauté) requièrent le consensus le plus large. Cette verticalité du pouvoir n’a qu’un seul but : garantir les intérêts de classe de l’oligarchie au pouvoir.

Une humanité réduite au rôle de producteurs au service du profit
Le capitalisme a besoin que l’humain se concentre sur deux fonctions : travailler, et consommer. Exploiter la force de travail au maximum afin de dégager la plus value la plus large, et ne pas laisser aux travailleurs le temps ni l’énergie de penser un autre mode de vie, un autre système.

Et pourtant, le capitalisme n’est qu’un système économique parmi d’autres. Il n’est pas inéluctable et surtout, les êtres humains et la planète entière peuvent en témoigner : il n’est pas viable.

Les problèmes économiques du confinement

C’est pourquoi, après un mois et demi de confinement de la société, les décideurs capitalistes veulent remettre les gens au travail, et leurs enfants les moins autonomes à l’école. La course au profit doit reprendre. Et pourtant, le gouvernement n’a toujours rien de solide sur le plan sanitaire pour appuyer son plan de déconfinement. Pire, il s’assoit sur les conclusions d’un « Conseil Scientifique » qu’il avait pourtant nommé lui-même sans grand consensus.

Alors que l’on était, selon Macron, « en guerre », l’économie n’a pas été toute entière réorientée vers la production d’équipements de protection (masques chirurgicaux, FFP2, FFP3, charlottes, blouses, surblouses, surchaussures, gants, gels...), ni vers la production des principes actifs essentiels aux tests et aux analyses.
On n’en a pas profité pour engager la relocalisation des productions essentielles, ni pour engager le renforcement d’une agriculture locale, respectueuse de l’environnement, en circuit court, ni pour inciter les entreprises les plus polluantes à engager la transformation écologique en se réorientant.

Les initiatives qui ont été prises ont été le fait de décisions individuelles ou locales (entreprises, ou collectivités territoriales). Le gouvernement a été inutile de ce point de vue-là. Ce qu’il a fait pendant ce mois et demi, c’est tenter de préserver l’économie « d’avant », en espérant qu’elle survive et reprenne telle quelle « après ». Le gouvernement et le système capitaliste qu’il promeut n’impulsent pas de réorientation profonde des secteurs ni de transformation de l’économie, parce qu’ils ne la recherchent pas, malgré les beaux discours de Macron et sa pseudo prise de conscience.
Au lieu de mettre en place un vaste plan de soutien économique en direction des salariés, des artisans et des travailleurs indépendants qui sont les premières victimes de cette crise le gouvernement débloque des milliards pour des entreprises multinationales qui versent des dividendes astronomiques à leurs actionnaires et qui licencient.

Donc, après un mois et demi de confinement, on nous demande de retourner au travail, à l’école, en s’exposant exactement comme avant aux mêmes risques, puisqu’on n’a toujours pas de matériel pour se protéger... Est-ce une libre réinterprétation du « mur de poitrines » de la Grande Guerre de 14-18 ?

Des dégâts sociaux importants

Le confinement a exacerbé les difficultés sociales : les violences intrafamiliales ont explosé, les personnes isolées ou maltraitées l’ont été encore plus, les personnes accompagnées ont failli perdre le lien avec les acteurs sociaux...

Mais même les familles qui habituellement ont des relations apaisées sont soumises à rude épreuve. Les parents doivent gérer la triple tâche de prendre soin d’eux-mêmes, prendre soin de leurs enfants, et prendre soin de leur relation. Il faut parvenir à télétravailler, faire l’école à la maison, tout en assurant les tâches domestiques. Tout cela en sortant le moins possible.

De leur côté, les enfants doivent gérer l’enfermement, la réduction drastique de leur activité physique, la perte des relations sociales (cruciale pour la construction personnelle), le développement d’une nouvelle relation avec les parents, ceux-ci devenant également « maîtres d’école ». Dit autrement , les enfants ont perdu la possibilité de jouer avec leurs copains, de courir et sauter partout, et ils ont perdu l’espace de vie (l’école) dans lequel ils se construisaient.

Cette situation est très difficile , pour beaucoup de monde. Et parce que l’être humain est sociable par nature, nous avons tous besoin de retisser des liens et de retrouver ces éléments constitutifs de nos vies.

Déconfinement, à quel prix ?

Mais malgré ces difficultés importantes, le déconfinement ne peut se réaliser n’importe comment. La preuve est faite que les écoles et établissements sont des lieux privilégiés de transmission des virus. Nous sommes sur le point de déconfiner 13 millions d’élèves et de personnels qui vont se retrouver dans des espaces fermés, sans garantie de nettoyage régulier des locaux et de protection suffisante.

Simple exemple : les masques (en tissu ou chirurgicaux) bientôt à disposition du personnel serviront à empêcher que l’adulte diffuse le virus. Par contre ils n’empêcheront pas le virus porté par les élèves, ou présent sur le mobilier, d’atteindre l’adulte en question. Donc, les personnels seront délibérément mis en danger.

Il ne faut pas croire qu’en rouvrant les écoles, les enfants vont retrouver leur vie d’avant et pourront de nouveau s’épanouir : une discipline extrêmement stricte les obligera à marcher au pas, en ligne bien espacée, pour rejoindre des plots ou des cerceaux. Il ne faudra pas toucher les copains, il ne faudra pas s’embrasser, ni faire de câlins. Il faudra marcher au pas et faire la queue pour se ranger, pour aller aux toilettes, pour aller en classe, pour aller en récréation où on ne pourra jouer avec personne... Cette discipline et l’extrême vigilance du personnel exposé soumettra les enfants à une forme de maltraitance évidente.
Il faudra alors choisir entre une frustration dans un espace sécurisé et connu (la maison), et la souffrance d’un « régiment scolaire » à mille lieues du souvenir de « l’école d’avant ».

Pas de sécurité, pas de rentrée

Macron a posé une date, le 11 mai. Parce que d’autres pays déconfinent, parce que la course économique reprend et que la France doit y participer. Surtout pas au motif de réduire les inégalités (sociales, territoriales, économiques…).

Nous avons posé nos exigences pour des garanties de protection et de sécurité qui relèvent de la responsabilité de l’employeur, comme le prévoient le statut des fonctionnaires et le Code du Travail.

Puisque ces conditions de sécurité et de protection ne seront à l’évidence pas assurées, nous avons toute légitimité pour ne pas reprendre et exercer un droit de retrait. Pour nous protéger nous, mais également pour protéger les usagers du service public de l’éducation nationale, et pour protéger nos proches.

Le Japon a rouvert ses écoles, puis les a refermées au bout d’une semaine. Plusieurs pays (Italie, Portugal...) ont décidé de garder les écoles fermées jusqu’en septembre, et pensent déjà à l’aménagement de l’année scolaire à venir, au lieu de s’échiner à vouloir tout faire « comme avant ».

Sur le droit de retrait, retrouvez toutes les informations utiles et pratiques dans la fiche pratique et dans notre article dédié. Sud éducation accompagnera chaque personne qui en fera la demande. Nous serons très nombreux à exercer ce droit de retrait, et ce nombre renforcera la validité de la démarche.

Nous ne serons pas de la « chair à canon » pour la deuxième vague épidémique, ni pour les intérêts particuliers de quelques uns.

Réouverture des écoles : les enjeux