Nouveau gouvernement, vieux ministre et vieille politique

mercredi 15 juillet 2020
par  Sud éduc 34

Article de SUD éducation 34
Mercredi 15 juillet 2020

Le ministre de l’Éducation Nationale, qui croyait obtenir le poste de ses rêves à l’Intérieur avec le remaniement ministériel, a dû déchanter (un comble pour cet amateur de chorale…). Le voilà donc coincé pour quelques temps encore avec cette profession qu’il méprise au plus haut point, comme l’illustre sa politique autoritaire, répressive et rétrograde. Les personnels sont soumis à rude épreuve, les usagers et usagères de ce service public ne sont pas en reste.

Petit tour d’horizon...

Les revenus

Comme dans le reste de la Fonction Publique, le point d’indice pour l’évolution de notre salaire reste gelé. La période glaciaire dure depuis la présidence de Sarkozy (celui dont les fidèles partisans sont au gouvernement…).

La grogne de la profession pendant le mouvement contre la loi Blanquer a poussé le ministre à lancer un « observatoire des salaires enseignants ». On attend toujours que l’observatoire fasse état de ses observations.
Personne ne sait déjà que les salaires des enseignant-es français-es, surtout dans le premier degré, sont parmi les plus bas d’Europe et de l’OCDE...
Ah, et personne ne semble savoir non plus que les enseignant-es françaises ont l’un des plus gros volumes horaires de travail en Europe et dans l’OCDE… Mince, ça ne colle pas vraiment avec le stéréotype du nanti toujours en vacances et grosse feignasse !

La prime Covid-19, largement vantée dans les médias par le gouvernement, comme un commercial au supermarché, est finalement distribuée au compte-goutte, comme dans le privé. Beaucoup de conditions, pour très peu de bénéficiaires, alors que toutes celles et ceux qui sont allés travailler pendant le confinement ont pris des risques.

La prime REP / REP+ dont bénéficient les agent-es qui travaillent dans les REP ou les REP+ n’est versée qu’aux enseignant-es. Ben mince, les AED et les AESH des établissements concernés ne fréquentent pas les mêmes élèves ? Ne connaissent pas les mêmes difficultés ? Bah, ce ne sont pas vraiment des agent-es du service public, même pas fonctionnaires… juste des contractuel-les dont le métier n’est pas du tout essentiel au bon déroulement de la scolarité des élèves. Voilà ce que doivent se dire les cols blancs d’en haut, celles et ceux qui pensent uniquement par l’argent. Nous qui sommes sur le terrain, nous savons que sans ces personnels, le système scolaire s’effondre ; il est donc indispensable de les stabiliser et de leur donner un statut, un salaire décent, un cadre de travail sécurisant.

→ Après le suicide de Christine Renon, directrice d’école épuisée, le ministre a consulté les directeurs et directrices pour savoir comment les aider. Pas faute de lui avoir déjà dit, lors de la mobilisation contre la loi Blanquer (encore !) qui voulait créer un statut pour la direction d’école. Et pourtant, ce qui vient ne correspond en rien aux besoins des chargé-es de direction. La loi Rilhac vient de créer une fonction de direction d’école, dont des décrets que nous attendons toujours (pas grave, la rentrée c’est dans longtemps…) doivent préciser la portée.

Les moyens

Soyons brefs, ils se réduisent. Mais détaillons quand même un peu :

Depuis le quinquennat de Sarkozy, le RASED continue d’être attaqué et se retrouve réduit à sa plus simple expression. Dans une ou deux cartes scolaires, il disparaîtra certainement, tant on a rogné sur ses postes.

Les concours et la formation des enseignant-es sont concassés. Perdus dans la lutte qui a vu les universités avaler les IUFM et leurs compétences, les préparations aux concours et les masters sont sans cesse remaniés de très haut, par Blanquer lui-même. Les stagiaires sont soumis à différents pôles de contrôle (tuteurs de stages, tuteurs de Master) qui poursuivent des objectifs différents. Chaque année, les conditions de formation diffèrent, et personne n’a de recul pour sécuriser les stagiaires. La souffrance au travail est immense, les abandons de plus en plus nombreux.

Il y a d’ailleurs de moins en moins de postes offerts aux concours, et de moins en moins de candidat-es. Côté candidat-es : qui voudrait se former dans ces conditions, pour un métier et un salaire aussi méprisés ? Côté création de postes : c’est encore l’argent qui commande. Même s’il y a plus d’élèves, qu’on manque de remplaçant-es, qu’il faut des enseignant-es spécialisés (RASED), qu’une réduction des effectifs améliorerait considérablement les conditions d’apprentissage, c’est le tiroir-caisse qui commande. Donc on ne recrute plus de fonctionnaires d’État.
Pour temporiser, le ministre procède massivement au recrutement de contractuel-les : des personnels peu ou pas formés, et soumis à la pression du contrat et donc de la hiérarchie.

Le lycée professionnel est démantelé. Les réformes successives conduisent à sa disparition progressive, au profit de l’apprentissage. Alors que c’était l’un des rares moyens pour les élèves des classes les plus populaires d’accéder à des études longues, on privilégie des parcours plus enfermants (via l’apprentissage), sans possibilité d’évolution, pour maintenir les enfants de prolétaires dans des métiers de prolétaires.

Parcoursup contribue à la même dynamique de tri social. Dans une opacité persistante, certains élèves sont choisis pour intégrer certaines facs. Les autres restent sur le carreaux, sauf si on les retient pour nourrir le « quota social » des universités. Au-delà des notes, le critère de la localisation géographique du lycée d’étude existe, preuve que les inégalités sont prises en compte et entretenue par cette sélection.
Les enfants des quartiers, les enfants de familles prolétaires ne sont pas les bienvenus dans l’enseignement supérieur, et on les condamne à ne pas s’élever socialement.
Pendant le confinement, on a vu les prolétaires plus ou moins jeunes au travail : caissières, livreurs à vélo, ouvriers d’usine, agent-es hospitalier-ères (ménage)... On les a appelés « derniers de cordée », ou « premiers de tranchée ». On a dit que les métiers les plus essentiels étaient les moins valorisés socialement et qu’il faudrait y remédier. C’est mal parti : toutes les réformes de l’éducation et de l’enseignement supérieur concourent à maintenir les pauvres et précaires dans leur situation. Quant aux réformes des autres secteurs, elles ne visent qu’à casser les cadres collectifs et déréguler le plus possible. Comme ambition de solidarité, on a vu mieux.

L’encadrement

L’an dernier, la circulaire de rentrée était publiée en mai. Cette année, après le confinement, puis le déconfinement, on aurait pu penser qu’une circulaire détaillant les modalités d’adaptation de la rentrée et du premier trimestre serait parue avant les vacances. Ben non, Blanquer était occupé à préparer son cabinet au ministère de l’Intérieur qu’il n’a finalement pas eu…
Bon, ben pour les personnels, et pour les élèves, tant pis : le ministre préfère attendre que les vacances aient commencé pour publier ce document (la circulaire est parue au BO du 10 juillet 2020). Les ajustements, on les fera sur le terrain dans l’urgence, le 31 août...

De la même manière, aucune communication à la profession sur différents scenarii de rentrée et de reprise, en fonction de l’évolution de la pandémie.
On confine, on ne confine pas l’école ? On limite les effectifs, les accès aux locaux ? On dote urgemment les personnels de matériel informatique ? On adapte les programmes ?
ON FAIT QUOI ???

Ah si, on sait ce qui est urgent et important : prévoir des évaluations nationales standardisées à tous les niveaux, les mêmes que l’an dernier, pour mesurer le niveau des élèves. C’est-à-dire qu’on va évaluer en septembre les élèves sur des notions qu’ils n’auront pas apprises entre mars et juillet. Comme ça on aura une idée précise du niveau. Du niveau de quoi en fait ?

Et aussi, un grand plan français et maths dans le premier degré : de la formation entre collègues mais imposée par les IEN et DASEN, pour inventer tous ensemble des séquences et des séances sur commande des supérieurs, et non pas à partir des besoins des élèves.

Et toujours dans le premier degré, des animations pédagogiques imposées depuis le ministère, en français et maths, bien sûr ! Y a que ça qui compte à l’école après tout ; le reste c’est bon pour les 2S2C et les centre de loisirs des collectivités...

Et le bac, que devient-il ? En trois ans de gestion par Blanquer, nous constatons deux sessions frauduleuses du bac, du seul fait du ministre.
L’imposition de sa réforme du bac et du lycée a conduit à la grève du bac en 2019. Pour en contourner les effets, Blanquer a donné l’ordre d’inventer des notes, et des fonctionnaires ont obéi, à l’encontre du respect des règles d’obtention des examens, et du principe d’égalité.
Cette année, le confinement et le ratage complet des E3C ont conduit Blanquer à tout faire reposer sur un contrôle continu rétroactif de septembre à mars, trahissant là aussi complètement les règles d’obtention des examens.
Que valent ces deux bacs, et comment ces jeunes bacheliers et bachelières seront-ils/elles considéré-es dans leur carrière ?

Enfin, le développement du SNU (service national universel) indique le positionnement de l’exécutif vis-à-vis de la jeunesse : la caporaliser, l’exploiter par des services civiques, l’embrigader dans un formatage intellectuel. L’Éducation Nationale ne lésine pas : elle a mis plus d’un milliard sur la table pour ce gadget réactionnaire.
Elle aurait pu adresser ce milliard aux nombreux acteurs de l’éducation populaire, qui promeuvent les valeurs de vivre ensemble, de mixité sociale...mais l’institution piétine ce pan de l’éducation qui travaille à la réduction des inégalités, alors que le ministère travaille à leur aggravation.

Tout ça pour quoi ?

La lutte des classes est bien vivante, et l’une de ces classes lutte âprement pour le maintien de ses conditions de vie, au détriment de l’autre. Le gouvernement, émanation de la classe dominante, œuvre pour le maintien des inégalités et la destruction des cadres collectifs protecteurs pour les plus précaires.

Dans ce but, les stratégies mises en œuvre sont multiples :

→ dominer une profession dont la mission est fondamentale : la formation de citoyen-nes éclairé-es et capables de libre arbitre ; par tous les moyens : répression syndicale, réduction de la liberté pédagogique, contrôle exacerbé…

→ maintenir les familles populaires dans des conditions d’éducation et des bassins d’emploi manuels et peu qualifiés : développement de l’apprentissage au détriment du lycée professionnel, tri social de Parcoursup

→ réserver les hautes études et les filières qualifiantes aux familles qui savent utiliser le système. Les réformes qui rendent le système scolaire de plus en plus complexe sont faites pour elles.

→ détourner l’argent de l’Éducation Nationale :
• l’obligation de scolarité dès trois ans détourne une partie du budget vers le privé (il faut financer les nouvelles écoles)
le financement du SNU empêche le développement d’autres projets, notamment avec l’éducation populaire
• les dotations REP et REP+ intègrent un budget qui est désormais laissé à la main des DASEN, qui le répartiront sur tout le territoire en fonction des besoins. Autrement dit, l’argent qui devait servir à combler des inégalités dans les quartiers servira maintenant à tous. Blanquer a déshabillé l’élève des quartiers pour que sa panoplie soit redistribuée à plusieurs autres. On ne peut pas faire pire en terme de réduction des inégalités.

Que faire ?

Nous avons un ministre de droite et autoritaire, frustré de ne pas avoir été nommé ministre de l’Intérieur. Il va avoir envie de passer sa frustration sur quelqu’un, ou quelque chose : probablement les personnels sous son autorité.

Nous savons par l’expérience du confinement que la logique du profit et de la compétition toujours plus acharnée ne peut s’appliquer aux services publics. Nous devons donc nous élever, en tant que fonctionnaires mais aussi en tant que citoyen-nes, contre ces politiques et contre le nouveau management public.

Nous savons, toujours par l’expérience du confinement, qu’une école ou un établissement fermé, cela impacte l’économie et désorganise profondément le pays. Le pouvoir de grève dans l’Éducation Nationale est donc extrêmement puissant.

Nous savons tout cela, il nous reste à agir. Pour ne plus aggraver la situation, pour offrir un autre avenir à celles et ceux que nous accueillons quotidiennement dans nos classes.
Développons nos convictions, syndiquons-nous pour les défendre, et organisons-nous dans l’action collective : toutes les écoles et tous les établissements du pays fermés en même temps, pendant plusieurs jours, on a vu ce que ça donne.

Soyons la résistance et l’avenir.

Nouveau gouvernement, vieux ministre et vieille politique