Interview de Richard Abauzit sur la Loi Travail

jeudi 2 juin 2016
par  Sud éducation 34

Inspecteur du travail puis Professeur des Ecoles, militant héraultais, Richard ABAUZIT , aujourd’hui retraité, est conseiller du salarié au titre de SOLIDAIRES 34. Il est aussi un des spécialistes nationaux du code du travail. Il a co-écrit, avec Gérard Filoche, un livre Comment résister àux lois Macron, El Khomri et compagnie.

Sud éducation : Si on a choisi de t’interviewer, c’est que tu es un des meilleurs spécialistes du droit du travail. Nous disions que ça faisait 50 ans que tu étais syndicaliste et dans ces 50 ans, tu as fait 40 ans de droit travail...

Richard : Tout a fait... 40 ans à titre professionnel et à titre militant pendant mes autres activités.

Sud éducation : Tu as écrit un livre...

Richard : J’ai écrit deux livres, un l’année dernière avec Gérard Filoche sur l’ANI et la loi Sapin, le livre de cette année en est la suite... et ce livre s’appelle, Comment résister à la loi El Khomri et compagnie.

Sud éducation : Comment résister, c’est un mode d’emploi ?

Richard : C’est cette collection qui s’appelle comment résister, à chaque livre c’est une résistance dans un domaine particulier.

Sud éducation : On se demande s’il y a un réel besoin de réécriture du code du travail comme on l’entend souvent dans les médias et dans ce travail de réécriture qui tient la plume ?

Richard : L’écriture du code du travail a commencé au milieu du 19e siècle avec les luttes des travailleur-euses qui ont inscrit dans le code du travail des lois protectrices pour les salarié-es. Dans la mesure où c’étaient réellement des lois protectrices pour les salarié-es, elles étaient rédigées de façon simple, courte et claire. Par exemple pour la loi sur les 40 heures en 1936, il était écrit : dans les entreprises la durée du travail est de 40 heures par semaine, point.
Si je dis ça, c’est parce que la critique selon laquelle le code du travail serait trop gros, illisible est à la fois vraie et fausse. Si le code du travail est aussi gros, on se rend compte que l’essentiel de ce contenu supplémentaire, par rapport aux lois protectrices ou ce qu’il en reste, dont le volume est très réduit, c’ est qu’il est constitué de mesures que le patronat année après année a fait entrer sous forme de décrets dérogatoires à la loi, qui permettent de ne pas l’ appliquer ou de l’appliquer de façon défavorable ou sous la forme de renvois progressifs de plus en plus forts jusqu’à la loi El Khomri qui en est l’apothéose, aux accords de branches voire aux accords d’entreprise pour faire la loi à la place de la loi. Plus l’introduction de formules volontairement ambiguës qui obligent les juges à faire leçon de jurisprudence, ces jurisprudences multiples sont incluses pour que le code du travail soit lisible. Pour résumer, le code du travail actuel dans sa forme la plus courante fait 3 300 pages, sur ces 3 300 pages 630 pages correspondent strictement à la loi et sur ces 630 pages, sans faire le calcul mais j’imagine que pas plus d’une centaine de pages concernent des lois protectrices des salarié-es.

Sud éducation : Donc ce n’est pas le plus indigeste des codes de loi...

Richard : C’est pas le plus indigeste... des codes de cette grosseur il en existe plein et personne ni au niveau du gouvernement, ni au niveau du Medef, ne s’est jamais plaint que le code du commerce, le code civil ou le code des impôts étaient trop gros. Le nouveau code des transports doit être du même tonneau. C’est intéressant de le noter, le code du travail depuis qu’il a été codifié en 1910, ne concerne que le droit du travail. Or, si le code des transports est aussi gros, c’est qu’il contient à le fois des dispositions économiques et commerciales et des dispositions du droit du travail dans les transports qui ont été sorties du code du travail pour être mises dans un code particulier, dans un code qui a rapport avec l’économie. Qui dit que le code du travail est trop compliqué ? Ce sont ceux qui ont réécrit tout le code du travail en 2007 en prétendant le simplifier alors qu’ils l’ont fait grossir énormément. Or ce travail de réécriture de 2007 a débouché sur la multiplication du nombre des codes du travail, les salarié-es agricoles passant dans le code rural, ceux qui travaillent dans les transports dans le code des transports, les électricien-nes et les mineurs dans le code de l’énergie, les dockers dans le code des ports maritimes...tous ces salarié-es sont sorti-es du code du travail et ils prévoient de faire un code pour la fonction publique...au total j’ai répertorié 10 codes. Ceux qui prétendaient l’avoir simplifié l’ont en fait compliqué, mais on pourrait très bien le simplifier de manière positive pour les travailleur-euses.
Qui tient la plume ? Ils sont nombreux, quand on regarde dans le détail, depuis 2002, la plume est tenue par le Medef, ce sont eux qui écrivent les textes à la virgule près, pour les accords interpro, comme le code du travail. Qui tient la plume du Medef ? Si on lit les recommandations du conseil européen, de la commission européenne pour la dernière loi Macron et la loi El Khomri par exemple, on se rend compte que la commande est Européenne. L’U.E. fonctionne avec les principes fondamentaux de la concurrence libre et non- faussée et l’application en droit du travail est simple, cela signifie la suppression du droit du travail, mais cela n’exonère pas les gouvernements actuels de l’UE qui prennent des décisions en Conseil européen par la voix de leurs ministres. Si la commission européenne ou le conseil européen donnent de telles recommandations ou directives c’est qu’ils ont quitus pour le faire. La commission européenne fonctionne exactement comme le conseil d’administration d’une multinationale et les liens entre ces institutions et les grandes entreprises sont incestueux

Sud éducation : Après les lois Macron, El Khomri ...que reste-t-il des protections des salariés ?

Richard : On peut voir dans les pays d’Europe qui ont subi les mêmes attaques du droit du travail la Grèce, le Portugal, l’Espagne, l’Italie... le bout du chemin. Si l’attaque est si violente, c’est que d’un seul coup, la France pays où il restait encore le plus de protections pour les salariés, est alignée sur les pays qui ont déjà beaucoup régressé.
La loi El Khomri a pour objet de réécrire tout le code du travail d’ici deux ans et a commencé à en faire l’ application sur la partie durée du travail et négociations collectives. Les principes de la réécriture sont inclus dans la loi El Khomri dans le préambule et ils s’appliquent à la durée du travail. Quand on lit ces principes de réécriture, on se rend compte que le but de la manœuvre est de réécrire le code du travail en supprimant tous les fondements. Le fondement même du droit du travail, qui n’existait pas au début du XIX siècle, est de dire que patron et salarié ne sont pas à égalité contrairement à la fiction juridique du code civil où les deux parties étant censées être à égalité pouvaient contracter librement de gré à gré, ce qui a abouti à l’épuisement total de la force de travail des enfants, des femmes, des hommes, quand la grande industrie à pris le pas sur l’artisanat. La réaction à cette exploitation a été la construction progressive par les luttes, de limites inscrites dans le droit du travail.
La loi El Khomri reconnaît que le salarié-e est dépendant-e mais il est libre de son choix à un niveau plus collectif les organisations syndicales sont libres ou non de signer des accords. Si le salarié comme les OS signent c’est librement et sans contrainte, donc l’accord signé est valable et peut être pris comme nouvelle base du droit du travail.

Sud éducation : Pour résumer, pour les salariés il y a un rapport de subordination à l’employeur, principe reconnu par le code du travail quand il a été sorti du code civil ce qui supposait qu’il fallait des lois pour protéger le salarié qui était dans une position dominée. Or c’est une chose que remet en question la loi El khomri. Peux-tu à présent nous expliquer ce qui signifie la hiérarchie des normes et ce qui est en jeu dans son inversion ?

Richard : Pour les salarié-es dans l’entreprise, jusqu’à la loi El Khomri, quelle était la norme la plus importante ? La norme était, sur la base de la Révolution française, une égalité pour tous-tes les travailleur-euses dans l’entreprise, pour qu’il y ait une égalité pour tous, il faut que la loi du travail soit la même pour tous-tes quels que soit l’entreprise, l’activité, l’âge ou l’ancienneté des salarié-es...
Jusqu’à la loi El Khomri, les principes généraux étaient les suivants : d’abord la loi qui fixe pour les salarié-es les mêmes droits, ensuite dans un secteur d’activité donné des organisations d’employeurs peuvent décider avec des OS de salarié-es de signer des accords disant que les dispositions qui s’appliqueront pourront être plus favorables aux salariés que celles issues de la loi. Donc on a une pyramide où la base est la loi, au-dessus il peut y avoir des accords nationaux interprofessionnels qui peuvent être plus favorables que la loi, au-dessus il peut y avoir une convention collective de branche ( ça s’appelait contrat collectif en 1936 ! ) et à l’intérieur d’un secteur d’activité des accords d’entreprise qui ne peuvent qu’être plus favorables aux salarié-es que les accords de branche et tout en haut de la pyramide à l’intérieur d’une entreprise un employeur peut signer avec un-e salarié-e un contrat de travail dont les dispositions pourront être plus favorables au salarié-e que celles qui s’appliquent dans l’entreprise car aucun-e salarié-e ne peut être moins bien traité-e que les autres dans un domaine donné, il faut que les droits soient les mêmes pour tous-tes à chaque niveau. La remise en cause de la hiérarchie des normes est la remise en cause du principe même d’égalité et du coup ça brise toutes les résistances collectives des travailleur-euses, mais c’est fait assez finement car il restera toujours la loi. Cependant dans la loi El Khomri, la loi est vidée de toute application pratique, elle est réduite à des principes généraux (écrits par la commission Badinter) prétendument à droit constant alors que chaque article est profondément régressif.

Sud éducation : Tu peux donner un exemple ?

Richard : Premier exemple, le SMIG. La loi actuelle dit qu’il est fixé à 9 euros 67 de l’heure brut, indexé sur le coût de la vie, il peut y avoir en plus un coup de pouce chaque année. C’est remplacé par un salaire minimum qui doit permettre une vie digne, point final.
Second exemple, pour embaucher quelqu’un, il y a une période d’essai qui a une durée, les salariés ont intérêt à ce qu’elle soit la plus courte possible. Pour les licenciements, il y a un préavis et le salarié a intérêt à ce que la durée de préavis soit la plus longue possible. La loi El Khomri prévoit que cette période d’essai devra être d’une durée raisonnable, comme la durée du préavis de licenciement.
Là on touche au problème du rapport de force entre le salarié et l’employeur. Si comme le veut la loi travail, ce n’est plus la loi qui fixe la durée de préavis, la durée de la période d’essai.. mais l’accord d’entreprise qui d’abord les fixe, il ne faut pas être grand sorcier pour comprendre que l’employeur trouvera intérêt à signer un accord qui fixera une période d’essai raisonnablement longue et une période de préavis raisonnablement courte. Dans tous les cas, si on confie à l’employeur le soin d’écrire le droit dans son entreprise et que ce soit ce droit qui prévale, ce sera la loi de la jungle.
Les salariés dans l’entreprise avec leurs organisations syndicales ne pourront pas se défendre, contrairement à ce qu’affirment les OS (CFDT- CFTC) qui sont favorables à la Loi travail. Dans un contexte de chômage de masse, dans un contexte où les solidarités collectives sont en berne tous les accords qui peuvent être signés seront régressifs. Un patron n’a aucun intérêt à signer un accord qui ne lui est pas favorable, s’il n’ y est pas contraint. Il n’est pas difficile de comprendre que dans le contexte de chômage de masse ce sera difficile pour les organisations syndicales et les délégué-es syndicaux de résister au chantage au licenciement ou au chantage à la délocalisation...

Sud éducation : On a un exemple de ce chantage, chez Smart...

Richard : Chez Smart c’est une leçon de choses parce que la loi El Khomri n’existait pas encore mais c’était une bonne anticipation. Chez Smart un référendum consultatif, au nom du maintien de l’emploi, a été organisé. L’accord c’était : « vous êtes à 37h payées 35, on vous passe à 39h payées 37 ». Le résultat a donné la chose suivante : les cadres qui n’étaient pas concernés par l’accord ont voté pour très largement, par contre les ouvrier-ères, sachant que ce n’était qu’une consultation et qu’ils-elles ne prenaient pas complètement le risque de se retrouver dehors, ont voté contre à 61 %. Globalement ça faisait une légère majorité pour, du coup le patron, n’ayant pas de syndicat pour signer mais voyant que les salarié-es étaient plutôt partant-es a décidé de voir les salarié-es un par un pour leur faire signer un contrat de travail individuellement. Ils-elles ont signé à 90% pour. Ce qui illustre bien l’effet du rapport de force dans les entreprises actuellement, à chaque fois qu’il y aura un chantage de ce type là, on aura soit à titre individuel soit à titre collectif par accord, les personnes pour accepter la régression, c’est inévitable. D’ailleurs, on est en peine de trouver un accord réellement favorable aux salariés signé depuis une cinquantaine d’années, des accords vraiment favorables, on ne les trouve que dans des situations sociales exceptionnelles (grèves générales en 1936 et 1968). En dehors de ces situations, les accords qu’on voit maintenant sont signés à froid, dans les locaux du Medef et ce sont les patrons qui écrivent le texte en disant « est-ce que vous êtes d’accord avec ça ? » Il ne peut sortir que des accords régressifs de ces situations là.

Sud éducation : Avec la loi El Khomri que deviennent les salariés qui refusent de signer des contrats dans le cadre des accords collectifs ?

Richard : Avec la loi El Khomri, la direction de Smart n’aurait plus besoin de dire qu’elle cherche à maintenir l’emploi, alors qu’avant il fallait justifier de difficultés. La direction trouve des organisations syndicales pour signer un accord qui demande par exemple aux salariés de faire un effort qui peut être de baisser le salaire et augmenter le temps de travail ou les deux. Avec la loi El Khomri, les salariés qui n’acceptent pas ce nouveau contrat sont licenciés pour faute (le terme est licenciement pour cause réelle et sérieuse), contrairement à la loi Sapin qui dit qu’ils sont mis dehors pour motif économique individuel. Du coup, le salarié ne peut pas aller devant les prud’hommes puisque le motif du licenciement est donné par la loi.

Sud éducation : Avec cette loi El Khomri les libertés fondamentales sont-elles sont-ils subordonnées aux intérêts des entreprises ?

Richard : Comme on l’écrit en droit, chacun- e peut y lire ce qu’il a envie d’y lire. Les libertés fondamentales avaient été confiées à Badinter qui a une bonne image mais n’est pas un spécialiste du droit du travail et à A. Lyon- Caen qui lui s’y connaît. Ils ont écrit les libertés fondamentales s’appliquent dans l’entreprise. Des limitations peuvent cependant être apportées à ces libertés fondamentales, en raison du bon fonctionnement de l’entreprise.
Tout fonctionnement de l’entreprise peut justifier une limitation et qui va la décider ? Pas le salarié.
Il est dit aussi que « toutes les discriminations sont interdites » mais une seule est mise en avant, la liberté religieuse avec cet ajout : Des limitations peuvent cependant être apportées à cette liberté en raison du bon fonctionnement de l’entreprise. Quand on sait que depuis la colonisation le passe temps des dominants est de dire qu’il y a des problèmes avec une religion donnée de l’autre côté de la Méditerranée, qui opprime les femmes etc... On comprend bien que si on cite juste cette liberté fondamentale avec la limitation qui va avec, ce ne sont pas toutes les religions qui sont visées.

Sud éducation : Est-ce que les fonctionnaires sont concernés par la loi ?

Richard : Les fonctionnaires sont plus que concerné-es par la loi. Pour plein de raisons. Quand on regarde l’évolution du droit public et du droit privé en matière du droit du travail, du XIXe siècle jusqu’au milieu du XXe siècle (fin des années 70), le droit public a plutôt tiré le droit privé ; depuis le début des années 80, le droit privé qui est en régression tire le droit public. C’est particulièrement net s’agissant des retraites, c’est net aussi en ce qui concerne la détérioration des conventions collectives et notamment des grilles de salaires de ces conventions collectives dans les entreprises. La convention collective assure à chacun-e un salaire en fonction de son ancienneté et de sa qualification et c’est une garantie d’égalité de traitement. A partir du milieu des années 90, dans le privé on a détruit ce critère collectif de qualification pour introduire des critères de plus en plus flous, liés à la personne et non plus liés à la qualification collective. Dans les services, il n’ y a plus que des compétences individuelles. Du coup, il n’y a plus d’égalité et les salarié-es rentrent en compétition pour avoir la meilleure compétence individuelle jugée par l’employeur. Dans la fonction publique, la chose a été introduite à travers des indemnités de plus en plus individualisées dans un premier temps et dans un second temps à travers des référentiels de compétences auxquels sont soumis-es les salarié-es de toutes les administrations. Référentiels qui listent les compétences que l’on doit avoir acquises pour avoir le concours et pour être évalué-e et classé-e à tel ou tel niveau. C’est le cas dans la fonction publique territoriale où comme dans le privé le moment clé est celui de l’entretien professionnel avec le-la supérieur-e hiérarchique direct-e qui détermine la fixation des primes
Conséquence, tout est arbitraire...mais l’essentiel est de mettre tout le monde en compétition. Un autre parallèle avec la loi El Khomri, le basculement qui va se faire dans toute la fonction publique d’Etat et la fonction publique territoriale pour les primes. Le schéma est le suivant : aujourd’hui les indemnités sont fixées ministère par ministère, au moment où la bascule va se faire sur le nouveau régime indemnitaire, il est expliqué que le maintien de la rémunération indemnitaire mensuelle est garanti, mais ça veut tout dire et rien dire et il y a fort à croire que cette rémunération sera individuelle car aujourd’hui la rémunération indemnitaire mensuelle collective n’existe pas, ce sont des fourchettes...

Sud éducation : Alors la première année, la nouvelle indemnité ne pourra pas être inférieure au total des indemnités des années précédentes, mais ça c’est pour la première année et ce n’est pas dit que cela va continuer...

Richard : C’est ça, dans la loi El Khomri, c’est pareil. Aujourd’hui, quand une convention collective est dénoncée, les salarié-es à titre individuel – pas les nouveaux embauché-es- conservent les avantages acquis, les primes par exemple, la loi El Khomri met fin à tout ça, il n’y a plus d’avantage acquis mais un maintien de la rémunération des douze derniers mois, c’est le même principe que celui de la fonction publique.
D’une façon générale, que ce soit dans le domaine des salaires, de l’hygiène et sécurité, les droits dans la fonction publique sont alignés vers le bas sur le droit privé et si on peut descendre plus bas, on le fait...c’est le cas des CHSCT étendus à la fonction publique mais qui ont beaucoup moins de droits réel que ceux du privé avec des formes apparemment identiques.

Sud éducation : il y a des choses qui sont en application immédiate dans la fonction publique avec la loi El Khomri ? je pensais à la médecine du travail...

Richard : Les fondements du droit du travail sont sapés et ça concerne tous les domaines, toutes les protections des salarié-es sont sapées l’une après l’autre, une de ces protections est le médecin du travail et là, c’est carton plein. Déjà dans la loi Macron il était prévu de sabrer la médecine du travail sous plusieurs aspects dont deux qui sont repris dans la loi EL Khomri. Le premier aspect concerne les visites médicales d’embauche, prenant acte qu’on a supprimé en masse les médecins du travail et que les médecins du travail ne sont pas assez nombreux, les visites médicales d’embauche on s’en passera sauf pour les salariés qui sont sur des postes dits à risque...Est-ce que c’est grave ? Un exemple, il y un salarié, un retraité de 75 ans qui pour compléter sa retraite s’était embauché chez Agrexo (distributeurs de gratuits dans les boîtes à lettres), ce salarié était cardiaque et au bout de 15 jours il est mort ... les prud’hommes ont constaté qu’il n’y avait pas eu de visite médicale d’embauche qui aurait permis de déceler que ce travail lui était formellement interdit.
Les visites périodiques qui étaient prévues avant tous les ans et maintenant tous les deux ans, avec la loi travail il n’y aura plus de périodicité. Il y aura un suivi mais ce ne sera pas forcément par le médecin du travail, cela pourra être assuré par un médecin non- spécialiste ou un infirmier, même chose pour les études de postes qui devaient être faites par le médecin du travail, ne seront pas forcément assurées par lui.
Le rôle du médecin du travail est de faire de la prévention sur les postes dangereux ou risqués, avec la loi El Khomri, le médecin du travail va contrôler le-la salarié-e. Une nouvelle mission du médecin du travail est prévue par la loi, celle de vérifier que le salarié n’est pas dangereu-euse pour les tiers qui évoluent dans son environnement immédiat. Un exemple permet de voir ce qui est possible à travers cette nouvelle mission, chose qui arrive régulièrement dans les entreprises. Un-e délégué-e qui fait bien son travail, il n’est pas rare qu’il-elle se voit accuser de harceler ses collègues voire ses supérieurs hiérarchiques, dans ce cadre là, la direction saisit le médecin du travail qui peut constater que ce-cette salarié-e peut être un danger et le qualifier inapte.
En cas d’inaptitude, le médecin devait proposer un poste de reclassement ce qui gênait beaucoup le Medef, dans la loi El Khomri ça été assoupli, il suffit que l’employeur fasse une proposition de poste et il aura rempli son obligation. Avant, pour un reclassement, il fallait proposer un emploi, dans la loi le mot emploi a été remplacé par le mot poste qui est très limitatif.

Sud éducation : Dans ce qui est d’application immédiate de la loi, il peut y avoir la fin de la pose quotidienne de 11 heures.

Richard : Si la question a été posée publiquement de fractionner, il s’agit de ça ...de pouvoir fractionner le repos continu de 11h, c’est que la cour de cassation a estimé que les dispositions qui consistent à ne pas compter les heures de travail cela pouvait ne pas être raisonnable, la cour de cassation estimait que cela qui mettait en danger la santé du salarié et qui contrevenait au repos de 11heures qui existe dans la législation française et européenne.
L’idée est de dire que si on fractionne ce repos, le travail ne s’arrête pas. Cette idée a été abandonnée par Valls mais pas complètement. Le rééquilibrage a été de le retirer du texte de la loi mais de le réintroduire en disant que les partenaires sociaux sont invités à négocier sur le fractionnement d’ici le 1er octobre 2016. De la même façon, la suppression du plancher des indemnités prudhomales a été enlevée du texte de sorte que cela ne sera pas discuté au parlement mais dans les 6 semaines un décret fera passer le barème indicatif, cela figure dans les 600 pages de l’étude d’impact sur la loi El Khomri, pas besoin de passer par la loi.
Autre rapprochement entre le public et le privé, il y a des conventions collectives dans le privé, rien de tel dans le public, mais l’inversion de la hiérarchie des normes se fait de la même façon dans le public si on considère que les décrets cassent une à une les règles nationales. Ce sont les décrets qui font la loi et précisent les choses importantes, ils fonctionnent comme des conventions collectives mais n’assurent pas l’égalité.

Sud éducation : Le CPA c’est une avancée ou un changement inquiétant de société ?

Richard : Le CPA met en musique l’ensemble de la destruction du droit du travail. Le CPA est un immense fichier, on va y mettre les salariés et les chômeurs, les non-salariés et les indépendants puis les fonctionnaires. Il est prévu de mettre dans les comptes tous les actifs, individu par individu. Ces fichiers seront tenus par la caisse des dépôts et consignations.
L’idée générale de ses défenseurs est que les métiers évoluent, les emplois évoluent, le statut de salarié est en voie de disparition, les gens vont changer de statut et d’activités tout au long de la vie, donc il faudrait que ce CPA puisse assurer une protection de la personne pendant ces changements de statut et les alternances entre périodes travaillées et non- travaillées. Mais quand on voit ce qu’il est envisagé de faire de ces comptes, on se rend compte qu’il ne s’agit pas de protection des actifs mais d’une individualisation complète de tous les droits.
Je vais énumérer ces comptes :
• Dans le projet de loi, il y a le compte personnel de formation -qui existe déjà-, où sont inscrites les heures de formation auxquelles on est censé avoir droit et le nombre d’heures de formation faites, mais aussi l’ensemble des données personnelles qui sont rapport avec la formation : la formation initiale, continue, les formations que votre employeur veut que vous fassiez pour être adapté-e et tous les fichiers interconnectés par le numéro de sécurité sociale. Ce fichier débute avec l’entrée en activité et sera ouvert jusqu’au décès. Ce fichier va contenir un sous -fichier qui est un CV numérique avec tout ce qui concerne votre formation depuis la maternelle –tous les fichiers qui ont commencé à se mettre en place seront rentrés, les compétences acquises ou pas dans les livrets mis en place à l’école, au collège – les diplômes personnalisés ... Le CV numérique en France est calqué sur le CV numérique européen (2004) y figurent, des cases qui précisent les compétences individuelles en matière de savoir, de savoir -faire et de comportement, le savoir - être. Ce système permet de mettre tout le monde en compétition.
• Il y aura un compte de prévention de la pénibilité, compte très personnalisé qui permet d’accumuler des points que l’employeur mettra ou non au salarié-e qui aura eu un travail pénible ou dangereux pour sa santé. Les points seront mis à l’année sur la base de décrets pour chaque situation pénible (ex : pour la manutention, aura des points celui qui soulève tant de tonnes par jour, tant de jours dans l’année...), en regardant les décrets qui sont déjà sortis, on se rend compte qu’ils sont faits de telle manière qu’on ne peut atteindre les doses en question. Au bout de sa vie de travail, le salarié qui aura eu assez de points pourra partir quelques trimestres plus tôt en retraite. Ce système est le contraire de la prévention de la pénibilité puisqu’il faut être malade ou usé pour avoir des points et c’est le contraire de la garantie collective, la garantie collective dans les métiers pénibles c’était celle qu’on avait avant, par exemple dans le bâtiment les travailleurs partaient à 55 ans.
• Troisième compte, le compte d’engagement citoyen, ça concerne l’armée, les communes, les services de santé. Ces comptes ont une caractéristique commune, les employeurs ne paient pas un centime. Un décret précisera les associations qui permettront de faire bénéficier de points.
On voit bien à travers ces comptes qu’ils n’ouvrent aucun droit supplémentaire. D’autres comptes existent déjà et le montrent bien, le compte épargne temps permet de ne pas payer les heures supplémentaires accumulées à l’hôpital ou dans la police par exemple. Par ailleurs, ces heures qui sont sur un compte vont faire fructifier les comptes épargne entreprise.
• Il y aura aussi un compte congé, un compte famille, un compte retraite, un compte mutuelle, un compte assurance maladie... Pourquoi un compte individuel pour l’assurance maladie et la retraite sinon pour passer à un système par capitalisation ? D’autant que le rapport préparatoire explique que l’intérêt de ce système est de trouver une unité commune en points qui puisse permettre de faire des transferts d’un compte à l’autre mais selon une règle de fongibilité asymétrique, qui vise à ce que l’on puisse transformer de la pénibilité en heures de formation, de l’épargne temps en compte formation mais pas l’inverse. L’idée finale est de détruire la sécurité sociale à travers les comptes individuels et d’abaisser les droits de tout le monde, chacun étant responsable de l’alimentation de ses comptes par l’activité qu’il a ou non. Finalement, il y aura une égalité par le bas de gens qui n’auront plus aucun droit et se battront pour avoir l’emploi, le salaire, la retraite et accumuler des points ouvrant à des droits individuels sur leurs comptes personnels.
La clé de voûte de ce système est la formation individuelle qui permet de faire culpabiliser le salarié lors de l’entretien de formation en justifiant que le salarié n’y arrive pas car il n’est pas assez formé. Ce qui change aussi c’est qu’auparavant dans le code du travail la formation était un droit collectif qu’on pouvait exercer pendant le temps de travail et une obligation de l’employeur qui doit former le salarié quand il y a une évolution dont il n’est pas responsable. Là ça devient une obligation du salarié qui doit se former tout seul, c’est un choix, s’il ne le fait pas, il est en faute.

Sud éducation : Toutes ces lois sont-elles une anticipation du TAFTA ?

Richard : Oui, c’est une anticipation du Tafta, toutes les barrières au libre commerce des marchandises et des hommes doivent être considérées à l’intérieur de l’Europe et dans ses relations avec l’Amérique comme des freins qu’il faut faire sauter et le code du travail en fait partie.
Une fois le traité signé, une entreprise pourra aller en justice et dire que tel droit du travail la gêne, d’ailleurs dans la première loi Macron, à la demande des multinationales, une des dispositions a permis de supprimer les sanctions pénales d’emprisonnement pour les employeurs qui discriminent les délégués syndicaux et les représentants du personnel dans les entreprises. C’est ainsi qu’on a répondu à cet insupportable obstacle à la concurrence. Avec le TAFTA on a la caricature et le bout du chemin.

Avec la loi travail, c’est le retour au début du XIXe siècle.

Merci Richard pour cet éclairage !