Fiche analyse – Inégalités et manque de moyens dans l’orientation : un rapport qui passe à côté d’une transformation du système d’enseignement

mercredi 5 juillet 2023
par  Sud éduc 34

Article de SUD éducation
Dimanche 2 juillet 2023

Le Comité d’Évaluation et de Contrôle des politiques publiques a publié le 20 juin 2023 un rapport sur l’évaluation de l’accès à l’enseignement supérieur. Il fait suite à de premières conclusions datant de juillet 2020, et reprend "le constat (...) du gâchis collectif en matière d’orientation et d’accès à l’enseignement supérieur" (p.25) qui était celui de Macron présentant le projet de réforme du lycée professionnel aux recteurs en août 2022.

Le constat partagé des inégalités et du manque de moyens dans l’orientation post-bac

Ce rapport, construit principalement à partir de témoignages (dont quelques chercheur-ses) et de quelques données chiffrées, montre que l’orientation reste marquée par les inégalités. Il pointe des éléments déjà soulignés (depuis longtemps) par les des recherches et des analyses syndicales, dont celles de SUD-éducation. Parmi ces éléments bien connus, on note :

1. Le foisonnement des acteur-ices de l’orientation avec une place problématique du secteur privé (en croissance), suite à la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel de 2018 (qui renforce la place des régions dans l’orientation, sans moyens correspondants, ce qui génère de la "sous-traitance"). "Les représentants des autorités académiques entendus par les rapporteurs n’hésitent pas à reconnaître qu’il leur est difficile d’identifier l’ensemble des acteurs qui interviennent dans les établissements scolaires sur leur territoire, tant l’offre autour de l’orientation proposée par des coaches privés, des associations ou autres start-up est désormais foisonnante, désordonnée, et insuffisamment contrôlée." p.35
Le rapport souligne de fortes inégalités de budget régional consacré à ces missions d’orientation régionales : Auvergne-Rhône-Alpes y consacre 26,5 M€ contre IDF 1,3M par exemple, ce qui incite à préserver les moyens nationaux de l’ONISEP.

"Ce nouveau marché privé surfe sur l’anxiété des élèves et se développe de manière exponentielle, ayant pignon sur rue dans les salons d’orientation où ils démarchent les familles désemparées" (p.36). Rappelons que ces salons sont dans leur grande majorité organisé par des entreprises privées, et que les formations privées y ont la part belle.

2. Un écart entre les objectifs de renforcement de l’orientation ("incantation" p. 65) et le terrain : manque d’heures, accompagnement individuel très inégal des lycéen-nes selon les établissements, manque de formation des personnels.

La "mise en place très inégale des 54 heures consacrées à l’orientation" (p.61) car "ces heures ne sont pas financées dans les dotations horaires globales des lycées et sont laissées à l’initiative des établissements, les professeurs principaux les prenant en charge comme ils le peuvent, dans les conditions d’exercice difficiles qui sont les leurs" (p.64). "Il faut un horaire dédié au parcours d’orientation, inscrit dans l’emploi du temps des élèves et doté dans les dotations horaires globales (DHG) des établissement" (p.139)

Avec le renforcement du rôle des professeurs principaux suite à la circulaire 2018-108 du 10 octobre 2018, le décret n° 2021-954 du 19 juillet 2021 institue le professeur référent de groupe d’élèves : le rapport estime que 30% des établissements auraient mis en place ces professeurs référents aujourd’hui.

3. Le manque de moyens, aussi bien du côté du secondaire que du supérieur.
"Chacun sait que l’une des raisons de la crise des recrutements que traverse l’Éducation nationale aujourd’hui qui oblige au recours de contractuels est en grande partie due aux conditions de travail et de rémunérations" (p.75).

- "entre 2010 et 2022, le nombre d’étudiants inscrits à l’université est passé de 1,5 million à 1,7 million ; dans les autres établissements post-bac, il est passé de 800 000 à 1,2 million. Mais les budgets des universités et les recrutements des enseignants n’ont pas suivi. La dépense par étudiant a baissé de près de 10 %, et le taux d’encadrement est passé de 1 enseignant pour 38,4 en 2012 à 1 pour 47,3 en 2019." (p.123)
- " la réussite en licence dépend aussi du niveau et des modalités d’encadrement dans l’enseignement supérieur" p.29, les licences étant bien moins pourvues que d’autres formations.
- "des enseignants trop peu formés aux enjeux de l’orientation" p.69, ce qui ne va pas aller en s’arrangeant compte tenu du "nombre croissant d’enseignants contractuels recrutés en urgence ces derniers temps" p.73
- "Il est essentiel de prendre au sérieux la formation continue et donc permettre à tous les enseignants qui le souhaitent d’être remplacés quand ils partent en formation. Cela nécessite par conséquent de recruter des enseignants. Par ailleurs, dans de nombreuses académies, le nombre d’enseignants en situation précaire est très élevé."(p.139)

Suite au décret n° 2017-120 du 1er février 2017, les COP deviennent Psy-EN, on en compte 1 pour 1 500 élèves, et ielles travaillent dans 3 ou 4 établissements en même temps.

4. Les inégalités sociales de trajectoire scolaire, qui articulent inégalités d’apprentissage, cumulatives, et inégalités d’orientation, ces dernières découlant en partie de choix scolaires plus ambitieux (à résultats équivalents) des familles les plus favorisées.

Ces inégalités se traduisent par une segmentation sociale et genrée des filières du secondaire comme du supérieur. Les inégalités sont aussi liées aux contextes géographiques de scolarisation (coût des mobilités pour études), qui se traduisent par exemple par de moindres orientations en secondes générales et technologiques dans les zones rurales. " la mobilité n’est pas toujours facile dans un contexte de pénurie de logements étudiants et d’augmentation du coût de la vie étudiante" (p.113). Le rapport conclut à une "addition de déterminismes" (p.93).

5. Parcoursup, dont on rappelle qu’elle génère "stress et angoisse" (p.100)
"Au terme de la procédure, 30 000 bacheliers n’ont obtenu aucune proposition (5 %). Surtout, 18,1 % d’entre eux n’ont accepté aucune proposition (...) ce qui représente 103 170 étudiants." (ibid.) et que " Comme il n’existe pas de hiérarchisation des vœux, il est difficile par ailleurs de savoir si les étudiants ayant accepté une proposition sont pleinement satisfaits de celle-ci." (ibid.).

Le rapport pointe l’« opacité technocratique » (p.120) que perçoivent les candidat-es quant au processus de sélection, ce qui invite les rapporteurs à faire les propositions suivantes : rendre la fiche Avenir accessible au-à la candidat-e plus tôt, supprimer l’avis global sur "la capacité à réussir dans le supérieur" de cette fiche ; retirer les activités extra-scolaires sauf si si celles sont directement en lien avec la formation (sports, arts), questionner la présence du projet motivé et du lycée d’origine.

Enfin, le rapport revient aussi sur les difficultés des réorienté-es de Parcoursup. Concernant les boursier-es, les quotas ont un effet peu significatif car "la mesure n’a donc concerné que 8,6 % des lycéens boursiers ayant candidaté"(p.108). Les boursier-es se voient canalisé-es vers certaines filières (baisse des boursier-es en école d’ingénieurs, CPGE et écoles de commerce depuis 2016). Pour les bachelier-es professionnel-les (+95% entre 2000 et 2017), les places en STS (+7%) sont trop peu nombreuses.

La question des capacités d’accueil est bien identifiée dans le rapport comme un élément générant de fortes inégalités ("Si des étudiants n’ont pas de places dans certaines filières, c’est aussi que l’on manque d’enseignants et de locaux pour les accueillir." p.96), y compris pour les licences dont on rappelle que "depuis le début de Parcoursup, on est passés de 15 à 40 % de licences sélectives de facto puisqu’elles ne peuvent pas accueillir tous les étudiants."(p.152). Cela invite à i) cartographier ces filières en tension et recruter des personnels en conséquence, ii) mettre fin à la distinction rhétorique entre formations sélectives et "non sélectives" en obligeant toutes les formations à classer tous les candidat-es (pour éviter que les "sélectives" ne pratiquent une politique malthusienne). Le rapport souligne que Parcoursup est une "vitrine" (p.152) pour les formations privées dont on peut questionner la qualité.

Sortir des perspectives néo-libérales pour l’ "égalité des chances" : transformer l’école !

Malgré des constats partagés sur les inégalités et le manque de moyens, ce rapport témoigne d’une approche néo-libérale des trajectoires scolaires. Se centrer sur la question de l’orientation, et de son "importance cardinale" (p29) dans l’égalité des chances fait passer au second plan les inégalités d’apprentissage (évoquées en un paragraphe p.82).

Cette focalisation sur l’orientation se traduit par un langage technocratique autour de l’égalité des chances (sans jamais poser la question de l’égalité des places) : continuum bac -3/+3, "synergies", "écosystèmes d’acteurs", "montée en compétences" continuum, projets, partenariats.

Cela invite à se concentrer sur les choix des familles et des élèves, plutôt qu’à travailler sur les effets des configurations institutionnelles sur les inégalités scolaires (conditions matérielles d’apprentissage, mise en concurrence des individus et des établissements, hiérarchisation des cursus, etc.).

Le rapport pointe les difficultés liées aux taux d’encadrement, mais ne remet pas en cause la hiérarchisation des filières.

Problématiser autour de l’auto-censure des classes populaires invite à promouvoir la "transparence des informations" pour "lever les barrières psychologiques" p.93, même si "la transparence de l’information ne suffit pas" p113 en raison d’inégalités face au numérique et de "déterminants sociaux" (qui arrivent en page 79 sur 175 du rapport et sont appelés ensuite "origines socioculturelles").

Dire que "La question de la formation des enseignants fait sans doute partie des problématiques les plus aiguës de l’orientation. Elle contribue très sensiblement à expliquer les déficiences du système" (p.69) témoigne d’une lecture asociologique et anhistorique de l’institution scolaire.

Le rapport s’inscrit dans une perspective adéquationniste qui valorise une continuité entre les parcours scolaires antérieurs et les perspectives futures dans le supérieur, ce qui est un des éléments centraux de la reproduction sociale (optimiser les trajectoires à partir de prédictions basées sur le passé scolaire des candidat-es). Le programme Avenir-s, mis en place à la rentrée 2024, inspiré de l’approche par compétences et de la théorie du capital humain, proposera ainsi un suivi individuel permettant à chaque élève de « Savoir devenir soi » (p.131), autrement dit dans lequel " le jeune apprend progressivement à comparer ce qui lui fait envie avec, d’une part, le niveau de maîtrise de connaissances et de compétences qu’il possède à un moment donné, d’autre part avec le niveau attendu par les employeurs et par les formations, et enfin, avec ses valeurs" (ibid). Il s’adresse à tous les élèves de la cinquième au bac+2 et leur offre "une plateforme unique d’accompagnement à l’orientation avec un compte personnel, associé à un portfolio de compétences portable vers le passeport de compétences du ministère du travail, et vers un portfolio élaboré pour l’enseignement supérieur, dont la réalisation est confiée à l’Université de Savoie Mont-Blanc. Le programme mettra en outre à disposition de tous les citoyens, à commencer par les enseignants, une application visant à permettre à chacun de prendre conscience de ses compétences transversales. La plateforme comportera également une interface pour les enseignants sur laquelle ils pourront suivre les progrès de leurs élèves (ibid)." Ces 15 compétences sont "réparties en trois grandes catégories : s’informer et se repérer dans la société de l’information ; se découvrir et cultiver ses ambitions ; se construire et se projeter dans un monde incertain." (p.133).

Pour une université publique, ouverte à toutes et tous, SUD éducation revendique :

- La gratuité de l’enseignement supérieur pour toutes et tous, sans condition de nationalité (abrogation de la plateforme Bienvenue en France)
- La fin de la sélection via Parcoursup et MonMaster qui instaurent une mise en concurrence des candidat-es et des formations, chronophage et angoissante. Les bachelier-es doivent pouvoir s’inscrire dans l’université ou la filière de leur choix et les diplômé-es de licence doivent pouvoir poursuivre leurs études en master.
- Pour cela, il faut une augmentation des capacités d’accueil qui ne peut passer que par l’embauche de plus de 50 000 personnels administratifs et enseignants titulaires dans les prochaines années. Il faudrait près de 30 000 personnels enseignants temps pleins dès à présent pour compenser les heures complémentaires et en vacation.
- La construction/rénovation de 10 universités et la réquisition immédiate de locaux vides pour permettre des conditions d’études et de travail décentes.
- L’abandon du Programme Avenirs, pour un accompagnement qui ne soit pas rivé à l’empoyabilité, au fichage et à la compétition entre individus.
- L’augmentation du nombre d’heures de formation initiale et continue des personnels éducatifs concernant les problématiques d’évaluation, de sociologie des inégalités scolaires.
- Une école émancipatrice, polytechnique et polyvalente, sans hiérarchisation des filières.

Fiche analyse – Inégalités et manque de moyens dans l’orientation : un rapport qui passe à côté d’une transformation du système d’enseignement